Les actionnaires de la foncière Icade peuvent dire merci au monde HLM. Ils devraient empocher un dividende exceptionnel grâce à la vente, en 2009, des logements locatifs de cette filiale de la Caisse des dépôts à des bailleurs sociaux. Ce petit cadeau ne constitue pas une surprise, mais il renforce dans leurs convictions tous ceux - élus et acteurs du monde de l'habitat - qui ont vu dans cette transaction hors
Lors de la présentation, mercredi 28 juillet, des résultats du premier semestre, Serge Grzybowski, le PDG d'Icade, a annoncé qu'il proposerait, au prochain conseil d'administration, la distribution d'un dividende exceptionnel de 206 millions d'euros, soit 4 euros par action. Cette gratification fait suite à la cession d'un parc de plus de 30 000 habitations (dont environ 24 000 à un consortium de 26 bailleurs sociaux). Montant de l'opération : 2,1 milliards d'euros.
Situé en Ile-de-France, ce patrimoine a été construit sur des terrains parfois cédés au franc symbolique. Diverses sources de financements ont été mobilisées : fonds propres de la Caisse des dépôts, prêts du Crédit foncier et du "1 % logement", etc. Réhabilités avec l'aide de l'Etat, une grande partie de ces logements ont, pendant un temps, reçu le label HLM.
La stratégie de M. Grzybowski, dès son arrivée à la tête de la société en août 2007, a consisté à transformer Icade en foncière classique, de bureaux et de commerces, nettement plus rentables que le logement. Parallèlement, Icade a adopté le statut de société immobilière d'investissement cotée (SIIC), qui l'exempte d'impôt sur les bénéfices, à condition de distribuer 85 % de son résultat et 50 % des plus-values tirées de la cession de ses immeubles - ce qui explique la "petite douceur" annoncée mercredi.
Bon nombre d'élus ont critiqué la vente signée en 2009, notamment parce qu'elle amène des organismes HLM à payer "une deuxième fois" des immeubles édifiés avec des "fonds publics". Dans certaines communes, comme à Sceaux (Hauts-de-Seine), le prix réclamé est jugé "plus cher que de raison", selon la formule du maire (centriste), Philippe Laurent. En outre, l'opération consomme des ressources financières pour des logements déjà existants alors qu'il faudrait privilégier la production d'habitations neuves.
Enfin, des dirigeants d'Icade, titulaires de stocks-option, et des intermédiaires, comme la société de conseil de Jean-Marie Messier, vont arrondir leurs fins de mois grâce à cette partie de Monopoly. Sans parler des actionnaires privés. Cette transaction "me fait penser au phénomène des oligarques russes", commente Stéphane Peu, président de l'office HLM Plaine Commune Habitat : "Elle porte sur un patrimoine public, peu à peu privatisé, et bénéficie à des intérêts privés."
Bien sûr, la Caisse des dépôts, actionnaire à 56 %, récupérera la majorité du pactole. Mais d'autres détenteurs de parts, privés ceux-là, vont aussi en profiter. Parmi eux, New Ireland Assurance, un fonds d'investissement irlandais, jugé opaque par certains élus locaux. Il possède 3,15 % d'Icade et son représentant au conseil d'administration a fait pression pour accélérer la vente.
Sur le montant réel de la plus-value réalisée, Icade reste très évasif. Quant au dividende exceptionnel, le montant de 4 euros par action ne correspond qu'à un acompte. Combien sera distribué en tout ? Nul ne le sait mais des analystes évoquent autour de 8 euros par action.
Certains protagonistes font toutefois remarquer que les actionnaires et les dirigeants d'Icade ne sont pas les seuls gagnants de l'opération. La société foncière était souvent pointée du doigt, par les locataires comme par les élus locaux qui lui reprochaient des hausses de loyer brutales et un piètre entretien de son parc. Celui-ci va être transféré à des organismes HLM, jugés plus respectueux par les municipalités.
Comme le dit Pierre Bourgoin, directeur général de l'office public de l'habitat des Hauts-de-Seine, "bon nombre de maires considèrent que, compte tenu de la gestion discutée d'Icade, ils font "une bonne affaire" en termes de gestion urbaine de proximité".
Bertrand Bissuel et Isabelle Rey-Lefebvre (Ecofrictions)